Licenciements et plans sociaux
- Admin.
- 12 août 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 sept. 2020
Sociologue du travail, formateur pour les CSE, coauteur de "La guerre des mots, combattre le discours politico-médiatique de la bourgeoisie"
Licenciements et plans sociaux : les macronistes qui parlent de relocaliser les emplois se moquent de vous.
Des licenciements collectifs sans motif économique sérieux, c'est désormais possible en France. Et avec le coronavirus, qui ira vérifier la réalité des tourments affichés par les directions d’entreprise ?
11/08/2020 05:40 CEST | Actualisé11/08/2020 05:40 CEST
Cet été, les plans de licenciement collectif se succèdent en France, tandis que d’autres sont attendus à la rentrée. Dans notre métier de sociologues du travail, nous constatons chaque jour à quel point les lois prises par les socialistes et macronistes facilitent la délocalisation de la production, la précarisation des salariés et leur soumission. Les salariés de l’entreprise Derichebourg sont les premiers à subir un dispositif d’une grande duplicité, dont l’origine remonte à la loi de Sécurisation de l’Emploi de 2013 qui a créé les “accord de maintien dans l’emploi” (à un moment où Benoît Hamon et Arnaud Montebourg étaient membres du gouvernement). La loi Macron de 2015, la loi El Khomri de 2016 et les ordonnances Macron de 2017 ont ensuite progressivement assoupli ce dispositif pour qu’il soit applicable sans motif économique. Désormais appelé “accord de performance collective”, c’est un système qui permet aux directions de proposer aux syndicats de “négocier” sur les bases suivantes: “on baisse les salaires ou on ferme la boîte”. Une fois l’accord signé, les “collaborateurs” en désaccord peuvent être licenciés. Les 163 salariés de Derichebourg qui ont refusé cette modification forcée de leur contrat de travail vont connaître ce sort-là.
Le système permet aux directions de “négocier” sur la base: “on baisse les salaires ou on ferme la boîte”. Et rien dans la loi n’interdit aux propriétaires de tout de même fermer la boîte après ce grand moment sacrificiel.
Or, absolument rien dans la loi n’interdit aux propriétaires de tout de même fermer la boîte, quelques années après ce grand moment sacrificiel. C’est ce que vivent les salariés de Smart à Hambach en Moselle, qui avaient accepté de travailler 2 heures gratuites par semaine en 2015, pendant 5 ans. Un sacrifice qui s’est avéré vain puisque la délocalisation en Chine aura tout de même lieu, comme l’a annoncé la direction dès 2019. L’accord aura juste permis de dégager plus de marge et ainsi, qui sait, de financer le déménagement?
Plus globalement, il est désormais possible, en France, de faire des licenciements collectifs sans motif économique sérieux. Quand on pense que jusqu’en 1986, licencier était soumis à autorisation administrative! Désormais l’État ne vérifie même plus la réalité du motif. Il restait tout de même la possibilité, pour les salariés licenciés par une entreprise profitable, de contester leur licenciement aux Prud’hommes et d’obtenir réparation. Ce n’est plus possible depuis 2017: Macron a plafonné les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Quel que soit le niveau du mensonge, un même barème s’appliquera. De quoi rassurer les patrons qui avaient peur de mentir. Plus grand-chose n’empêche donc les entreprises de licencier de nos jours et syndicats et représentants de salariés, les Comités Sociaux et Économique, n’ont leur mot à dire que pour valider des décisions antisociales ou devoir faire des choix impossibles. Le rêve des libéraux a été exaucé par Hollande (qui a été plus zélé que Sarkozy en la matière) et Macron, avec la bénédiction de la Commission Européenne.
Avec le plafonnement des indemnités de licenciement, quel que soit le niveau du mensonge, un même barème s’appliquera. De quoi rassurer les patrons qui avaient peur de mentir.
Cette “flexibilité” (des salariés, les actionnaires restant inflexibles dans leur quête de profit) était censée favoriser l’emploi, selon les idéologues bourgeois. Or, aucun rapport sur l’application de ces lois n’a montré de réussite en la matière. Au contraire, on peut observer dans le contexte actuel que cela ne contribue en fait qu’à permettre aux entreprises de poursuivre en toute impunité leur mouvement de délocalisation, de dumping social et de sous-traitance. Et d’augmenter ainsi les profits des actionnaires. Lorsque que des socialistes et des macronistes déplorent la désindustrialisation du pays et appellent à la “relocalisation” de notre économie, ils se moquent de vous ou sont d’une grande bêtise - les deux étant possible. Pour compléter le tableau, rappelons que les mesures d’exonérations d’impôts et de cotisations se sont multipliées et ont été empilées depuis 10 ans : exonération Fillon sur les bas salaires, Crédit d’impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE), devenu depuis allègements pérennes des cotisations sur les salaires allant jusqu’à 2,5 SMIC (la grande majorité)… C’est en réalité nous, contribuables, qui avons payé une grande partie des salaires des gens que les entreprises licencient désormais parce qu’ils “coûtent trop chers”. Et derrière c’est nous, assurés sociaux, qui allons devoir payer le coût du chômage supplémentaire généré par des actionnaires déresponsabilisés par nos propres dirigeants. Et ce sont les chômeuses et les chômeurs qui seront rendus coupables de leur sort et que l’administration ira fliquer.
Concernant le chômage partiel pendant le confinement, après un tel investissement d’argent public - et une fraude patronale estimée à 6 milliards d’euros - tout gouvernement un peu rationnel aurait interdit aux entreprises bénéficiaires de licencier en masse.
Rappelons aussi que des milliards ont été dépensés pour le chômage partiel pendant le confinement : le contribuable a payé pendant des semaines les salaires à la place des actionnaires, pour éviter que les entreprises, petites comme immenses, se retrouvent en difficulté. Après un tel investissement d’argent public – et une fraude patronale estimée à 6 milliards d’euros- tout gouvernement un tant soit peu rationnel aurait interdit aux entreprises bénéficiant du chômage partiel de licencier en masse. Mais le nôtre s’est incliné. Nous avons payé pour que l’emploi soit maintenu malgré la crise ? Il sera détruit au nom de la crise, qui est devenue le prétexte idéal pour licencier: qui ira vérifier la réalité des tourments affichés par les directions d’entreprise pour justifier des plans sociaux ? Le coronavirus est une aubaine pour un Grand Bond en avant destructeur d’emploi. Le confinement n’a strictement rien changé à cette politique pro-désindustrialisation, au contraire : une ordonnance passée discrètement le 20 mai permet aux propriétaires d’une entreprise de déposer le bilan puis de se porter candidat à sa reprise… en version allégée. Un nouveau cadeau aux actionnaires que vont expérimenter les salariés d’Alinéa, entreprise appartenant au groupe Mulliez, mise en dépôt de bilan par ses dirigeants et… rachetée par eux. On n’arrête décidément pas le progrès et on se demande ce qu’il faudra encore faire pour que nos ouvrières, employés ou agents de maîtrise soit enfin assez “compétitifs” pour les beaux yeux de leurs actionnaires. (Spoiler alert : ils ne le seront jamais assez, c’est le principe du capitalisme).
Le coronavirus est une aubaine pour un Grand Bond en avant destructeur d’emploi.
Il est grand temps d’arrêter ce petit jeu “gagnant-perdant”. Car tant qu’il n’y aura aucune loi protectionniste localisant la production industrielle en France et qu’on ne donnera pas plus de pouvoir à celles et ceux qui bossent plutôt qu’à celles et ceux qui possèdent, la France continuera de devenir un pays de chômeurs humiliés, de salariés soumis et de cols blancs dépressifs.